Joel Hubaut , l'excentrique

Depuis les années 70, depuis la découverte des signes épidémiques, Hubaut le gothique populaire, s'auto-engendre, augmentatif, concentrique, dans toutes les directions, les pales de plus en plus larges, les rotors plus rapides et bien plus denses ( dance). C 'est une machine à broyer. La marque HUBAUT, c'est une pelleteuse, un bulldozer, un panzer, une moissonneuse-batteuse, une botteleuse à propulsion comique, une théorie de moulins moulinants d'un cargo monstrueux, un tanker de matériaux bruts, un pousseur, une Armada de remorques; la compagnie HUBAUT augmente l'entreprise en tournoyant comme un derviche, trente années déjà d'usinage, de projets, de productions, d'actions, d'éditions, de labourage et de ramonage, trente années trépidantes et tonitruantes, pour aboutir à la méga-construction machinerie actuelle, à Toulouse: une sorte d’immeuble ( qui devrait perdurer et se transformer indéfiniment ) où le salon de coiffure, la chambre de repos, l'espace de jeux, le cimetière, le bar à vins, voisinent avec le sex-shop et toutes sortes d'espaces hétéroclites jamais ainsi associés, contigus, côte à côte; alors l'entreprise Hubaut, le Grand Magic Hubaut, n'est-ce pas le rêve ( la rave ) d'un nouveau Barnum Hubaut, avé tutti quanti e tutti frutti, avec les fièvres dada, lettriste, punk et fluxus ? Faire tourner les têtes et briser les cloisons, abattre les tabous solidement constitués, institués depuis des siècles, entre le savant et le populaire, entre le vieux et le neuf, entre le pur et l'impur, entre le minimum et le maximum, entre l'expressionnisme et le constructivisme entre l'image et sa destruction, entre la faux jour de la raison et le fausse nuit de l'imagination, entre la sagesse de la folie et la folie de la sagesse, entre l'utopie et le réel, et cetera, ra, ra. Tout faire devenir entre, tout faire entrer dans le faitout du grand Bazaar, dans le souktéroclite où les parties sont des tout, où tout se croise, s'entrecroise et se transforme dans un méli-mélo de mélée assez mélodieux néanmoins, mais très haut. Le secret du Hubaut ? La construction méthodique, malgré tout, des excès, avec des accés de succés; Hubaut organise la désorganisation du pseudo-ordre ossifié-gelé (pas s'y fier) pour inventer un organique de la surprise, de l'imprévisible dynamique de la coïncidence non calculable. Dans ce cirque, toutes les portes sont ouvertes et chacun fait son chemin n'importe comment: tous les sens et contre sens et non sens sont savoureux car seul un grandissime cancre tel Hubaut pouvait outrepasser les normes admises en tous genres grâce au fourire abracadabra. Le spectateur admiratif est aboli car la surprise le terrasse et il va divaguer et déambuler par çi et par là, estomaqué, irrité, étonné, pris en flagrant délire de préjugés, piégé, renversé dans ses habitudes, sens dessus dessous, à poil le zigue, démonté, barraté, secoué, malmené, perdu dans ce labyrinthe inextricablement ouvert. Espaces où s'affrontent les diverses cultures, Hubaut construit un espace à plusieurs dimensions non réductibles à des éléments simples; ça devient toujours de plus en plus obscur, de plus en plus imbriqué, de plus en plus tissé, de plus en plus dense, de plus en plus vivant, de plus en plus fictif, de plus en plus foisonnant, de plus en plus épique et burlesque; mais alors et si le père Hubaut était un nouveau romancier d'une espèce encore inconnue nous déroulant les rhapsodies idiotes de son récit sans queue ni tête, notre épopée terrestre si terriblement stupide. Hubaut nous livre les pages roses d'un livre indéfini que nous devons continuer à construire à partir de son propre chaos en expansion qu'il active depuis son enfance. C'est un projet titanesque et comique, c'est un ensemble de secousses hétéroclites où tout se chevauche pêle-mêle, c'est un refus global de cette vie compartimentée sans aucun piment, cette vie d'esclaves plus ou moins assouvis et assoupis ou pire endormis à l'opium du travail et du rendement absurde. Hubaut, c'est une parole, sous ses formes diversement plastiques, une des voix possibles de l'insoumission généralisée contre tous les diktats, les mots d'ordre, les slogans, les modèles en tous genres, un immense cri vivant,chaleureux, un feu d'artifices illuminant la nuit noire de nos sombres bêtises; Hubaut, c'est une des formes diverses du soulèvement des individus opposés à toute forme de formatage; c'est une tornade capable de briser les idées creuses, c'est un balai magique qui met en branle toutes les danses folingues de tous les danseurs inconnus. Hubaut, c'est le carnaval retrouvé à tout instant. Dès l'enfance, frère Hubaut possède ce caractère épidémique, curieux perpétuel, avide, joueur, débridé. Va la vogue, les bals champêtres, les fêtes populaires à l'accordéon (Yvette Horner, Jo Privat,Verschuren ), les majorettes et les cliques, les fanfares et les concerts ruraux ( avec poullaireries, anaries et cie ). Il a déjà le goût du souk, du mélange, du là où ça vit. Son inadaptation aux règles et règlements consacre son allergie à toute forme d'école où l'enfournement du savoir et la répétition fastidieuse prime toujours et encore trop l'expérience propre ( la non méthode Freinet ou mieux l'absence totale de méthode de Filliou n'était pas encore utilisée ).Cancre absolu, cancre couronné, le Hubaut. Réfractaire. Déjà énergumène. Transfuge, démon, nomade, clochard céleste à l'aune de la Beat Generation qui bourlinguait en France via guitaristes et chanteurs de rue. Hubaut se dirige nécéssairement vers tous ces rebelles qui refusent globalement cette société de casernes et d' esclaves ( salut à Jean Louis Brau, salut à Gong, salut à tous les misfits, salut aux poètes des bistrots ) et qui depuis les années 50 rongent les barreaux de la forteresse et du bagne du bon goût français et de la bonne conscience révolutionnaire ( avant rock, jazz, beatniks, nouvelles musiques, reggae, indus, free, électro et toutes les formes populaires et la variété et les comiques Pierre Dac, Coluche, Thierry Le Luron, San Antonio ). Pas de hiérarchie de valeurs : tout, tout en vrac, totalement équivalent, en vrac, et vlan dans la grosse marmite à ragoûts, les Satie, Allais, Jarry, Artaud, Daumal, Lecomte, Dutronc, Higelin, Magma, Luca, Dufrène, Brau, Isou, Klein, Spoerri, Hains, Barbey d'Aurevilly et professeur Choron) Hubaut attrape et transmute dans le ventre invisible de son alambic alcoolique; les ingrédients trouvés au bord de la route sont soumis au feu sans répit et ça donne plus tard cette soupe formidablement épidémique pantagruelesque. Y'en a fallu du temps et du temps pour qu'ça murisse, pour qu'ça pourisse, pour k'ça fermente et bourgeonne jusqu'aux banquets d' aujourd'hui ( Hérouville, Nantes, Rennes, Toulouse et bientôt Strasbourg ). Vers 1970, Hubaut trouve son système d'organisation avec ses signes épidémiques qui vont progressivement tout relier tout à tout dans une sorte d'écriture généralisée hypergraphique et langagière dont les multiples carnets témoignent (plans, schémas, projets, écritures ). Il invente et découvre là son écriture plastique, graphique et sonore, ce qui, d'extension en extension, va le conduire jusqu'aux machineries actuelles interactives (intra/ extra ) Hubaut a la truculence, la goinfrerie, la frénésie, la puissance débonnaire des figures rabelaisiennes. Architecte délirant, constructeur de situations et d'événements proche des singuliers ( Le Facteur Cheval, Chomo, Woeffli ) il est aussi proche d'autres systématiciens comme Fourier, mu comme lui par l'attraction passionnément épidémique et fragmentaire mais relié toujours dans un système inextricable mais ouvert et grand rêveur d'un autre monde à imaginer et à construire ( la scène de l'art d'aujourd'hui permet detelles rêveries mais pas jusqu'à franchir la limite actuelle et inventer un nouveau phalanstère comme oeuvre d'art en action ). Hubaut est un orgiaque et un dionysiaque hilarant et tragique porteur d'une cosmogonie évolutive comme Fourier, Balzac, Hugo, Isou, Audiberti , Filliou ; il a l'envergure des fondateurs de tribus et de langues ou d'un fondateur de secte ; mais d'une secte épidémique anabaptiste canabienne anti-secte où la glossolalia verte serait la prière dansée quotidienne avec moult biberons d'eau vive. Le système ouvert qu'il s'est construit (mixage et épidemie) lui permet d'arranger ( monter, couper-coller, assembler, combiner ) tout ce qu'il touche, voit, entend selon à chaque fois un barratage propre à la nouvelle situation. Alors nécéssairement tous les énergumènes solitaires du siècle achevé et tous les mouvements débordants depuis les incohérents du Chat Noir jusqu'aux fluxiens des années 70 sont ses cousins ou ses oncles de cette grande fratrie errante où chacun est son propre pays. Et pas seulement les fondateurs tels Marinetti, le promotteur mondial des mots en liberté et de l'imagination sans fil ( avec ses amis Russolo, Balla, Depero, Canguillo ) mais aussi les irréguliers méconnus ( comme l'immense cosmologue enfin révélé dans sa complétude langagière aux Presses du Réel à Dijon, Jean- Pierre Brisset ) inconnus, écartés ( tel Altagor, le maître de la poésie absolue ) et tous les pères peinards de la révolte active et du sabotage contre les moules et les normes moulantes. Impréssionné tout autant par Breton qui rêve d'une autre civilisation enfin humaine où le jour et la nuit puissent copuler comme les planètes (dixit notre saint Fourier ), harmoniquement. Secoué, bien entendu par les séismes de Picabia ( le plus hétéroclite et paradoxal des dadas) et par l'ironie erratique de Duchamp dont le sel et le poivre ne cessent d'inquiéter tous les petits ersatz; mais tout autant intrigué par la puissance radicale de Mondrian ( jusqu'au final boogie woogie ) et le suprème suprématisme de Malévitch dont on découvre peu à peu l'envergure séculaire. Et la longue litanie file sa laine avec Cobra (que ce soit Jorn le danois, le peintre vandale redécouvreur des ruines anciens comme le pataphysicien de la langue crue avec son compère Nöel Arnaud ou l'ami et le compagnon de Guy Debord et de l' Internationale Situationniste, ou Dotremont le poète théoricien de Cobra l'inventeur de la désécriture et du logogramme ) ; avec la vision paradisiaque d'Isou, le dernier des mohicans de l'utopie, le théoricien de l'art infinitésimal et de la novatique, avec Beuys et sa plastique sociale, avec tout fluxus et surtout Maciunas, et Ben (son art total ) et Spoerri ( le musée sentimental et la topographie anecdotée du hasard ) et Dietman ( ses énormités canularesques dans la mare prétentieuse du bon goût et des modes ) et surtout beaucoup, beaucoup Filliou (son projet d'une République Géniale de la création permanente ), et toutes les formes de poésure et de peintrie (depuis Hausmann et Schwitters jusqu'aux conséquences actuelles en poésure concrète, spatiale, sonore visuelle, et les retournements de Présence Panchounette et bien d'autres croisements encore et encore. Hubaut semble remplir jusqu' à l'étouffement mais en réalité il fait le vide par le plein: il pulvérise les concepts et toute idée (idole/idéologie) puisque tout se bouscule dans un va et vient absurde. Hubaut a construit dans sa normandie (école d'art, frac, centre régional du livre et région ) des conditions de possibilités d'une autre scène (à l''intérieur de l'institution, et sans entrisme ) comme ailleurs (Rennes, Nantes, Strasbourg, Tarbes, Toulouse). Tout s'entrecroise dans ses machineries mais il a vraiment élaboré un territoire propre, en gestation permanente, non réductible, mais qui rend possible l'autre et l'échange. Hubaut n'est pas assimilable; il est quasiment le seul à construire des situations paradoxales qui gènent l'institution artistique et cuktureuse ( pas assez ceci, trop cela, non conforme pour représenter la France à Venise: en effet, il faudrait une sacrée dose de courage pour inviter un vivant si vivace ). Poète épidémique plasticien plastiqueur et saboteur de préjugés, chanteur méconnu de la rage de vivre; pas assez malléable, pas encore muséable ( il aimerait bien enlever les muselières des musées ). Encore vivant, encore charabiesque. Hubaut : un immense HIATUS dans le système académique .

Michel Giroud Besançon le 21 juin 2001