ENTRETIEN AVEC JOEL HUBAUT
pour la galerie Marcel Duchamp - Yvetôt
Thierry Heynen
Mercredi 11 Juillet 2001
Quelle est la provenance du mot «CLOMIX»
que vous avez choisi comme titre de lexposition ?
Cest une création hybride, un mot valise entre le mot CLOM
et le mot MIX. Ca évoque le mixage,
cest une forme dappréhension du monde que jassume
dans mon travail depuis trente ans déjà. CLOMIX sonne comme
«comique» ou «comics», cest aussi clom X
(comme porno ou inconnu), cette greffe verbale ouvre sur un tas dautres
champs. Dailleurs pour cette exposition, La Galerie Duchamp, na
accueilli que des fragments épars de mon travail traitant de la
couleur. Jai ajouté des éléments dautres
chantiers, ( La Rabbit generation du
lapin sémiotik, le fractal épidémik
etc
) pour que cette expo soit elle-même une greffe, un mix.
En 1995, Jai commencé à travailler avec les huit couleurs
que les nazis utilisaient dans les camps de concentration pour ficher
les groupes humains. Le chantier couleur a débuté en 1996
à la Ferme du Buisson, javais une salle par couleur. A la
Galerie Duchamp, quatre couleurs seulement étaient présentées
dans une même salle, un collage qui provoquait tout à coup
une hétérogénéité des chromatismes,
alors que je travaille justement sur le monochrome. CLOMIX est devenu
ainsi quelque chose dun peu monstrueux par rapport à mon
travail sur les CLOM. Le CLOM nest pas une dénonciation,
cest un pointage, un éclairage sur cette idée de pensée
unique. A Yvetôt, javais envie de m échapper
de la rigueur du monochrome pour retrouver le métissage et la gerbe
multicolore du bariolage. Yvetôt est un virage dans le chantier
CLOM qui doit finir en apothéose un de ces jours par une action
«Paint Ball», je pense aussi aux transes Holly color en Inde
ou la population patauge et sasperge de pigments dans un happening
multicolore
Ce travail sur le CLOM débute donc en
1996. Que signifie le mot CLOM ?
A cette époque, je décide dintituler la manoeuvre-couleur
: «CLOM, color guérilla» (installation vive
et peinture concrète). C.L.O.M. est constitué des initiales:
(Contre lOrdre Moral ). Il sagit bien sûr, ici, de lordre
moral intégriste, je revendique évidement limpureté
face à cet hygiénisme permanent qui sest imposé
un peu plus frontalement dans les années 90 avec les fondamentalistes
de tous poils et le retour à lordre. Comme je travaille aussi
la sémiotik et que je suis très attaché à
la sonorité du langage, le terme CLOM, pour moi, cest aussi
linvention musicale dun mot. Jai choisi ce mot à
lorigine pour sa proximité avec le mot «clone»,
le clonage, le moulage à la louche, le formatage, cest lépidémie.
Jai toujours fait des références et des liaisons avec
certaines fictions comme celle de Don Quichotte, Alice au Pays des
Merveilles, le père Ubu, Pinocchio, le petit prince.,..Autour
des CLOM, y a prolifération; les CLOMORAMA, les Sites -Clom,
(je pensais au site-com de la TV) le PSYCLOM, les CLOMTROC,
(dépôt-vente) les CLOM-CLOM, les Cyba-Clom. (photo
cibachrome) etc... Cest un peu de la musique, comme des onomatopées,
des variations de syllabes «optophonétiques», cest
en raccord à Proun ou Merz ou bien la Zaoum, Ur, Zang Tumb Tumb
ou Laroutala (1). Cest aussi toute la grande histoire de la poésie
concrète, la matière du langage. Arthur Rimbaud, à
la fin de sa courte vie, avait commencé à déclencher
un travail de concassage des lettres... Antonin Artaud la fait,
en foudroyant totalement le mot comme propulsion du corps, du souffle...on
connait la zizique depuis les futuristes, les dadaïstes, les lettristes!...Clom-Clom-Clom!
Cest mon langage épidémik..Mes mon chantier de la
couleur Clom est quand même mené avec humour, jespère!
Cest aussi de la contre-propagande, là, je frise le micro-politique.
Je vrille lorsque je me lance dans une trajectoire, jessaye de provoquer
des incidents de parcours entre les garde-fous, je mets des bâtons
dans les roues pour perturber la ligne droite, pour voiler les apparences
trop superficielles. Cest un peu la pipe de Magritte, il y a un
mot derrière le mot qui transforme le sens du mot et tout est à
revoir derrière les lignes, dans les interstices. A chaque fois
tout se démultiplie. Le mot CLOM est la conséquence dun
grand nombre de combinaisons qui en entraînent dautres. ça
bifurque, ça rayonne vers de nouvelles directions à linfini
et ça permet la découverte de nouveaux terrains. Lorsque
je suis engagé dans un chantier, je me situe plutôt dans
une dynamique dinassouvissement comme quelquun qui tente une
sorte de construction in progress mais toujours inaccomplie. Cest
une démarche qui tend au dépassement par un déplacement
expansif fait de fragments.Mais je ne suis sûr de rien! Les éclats
sont comme des modules qui sinterfèrent, qui senchaînent,
saccumulent, se pénètrent, se contaminent et le bouillon
finit par créer un univers exponentiel. Pour être plus simple,
on pourrait dire de mon processus de création quil serait
léquivalent dune sorte d hyper-roman, un peu
comme un grand film qui ne serait jamais tourné. Ce serait comme
une espèce de fiction processuelle dans laquelle linachèvement
de la réalité serait complètement intégré
à la réalité même, par labsorption dune
réalité qui ne serait plus réalité mais fiction
de la réalité..disons, un truc qui ne tournerait pas rond!
Je ne mimagine pas la réalité sans la complexité
de sa réversibilité, sa non-réalité, une sorte
décho de réalité avec un décalage comme
du delay, une réalité réflexive, je veux dire une
espèce de contre-réalité, pas une opposition à
la réalité mais une contre-réalité au même
titre qu il y a les contre-reliefs de Tatline ou de lart non-art!
Je répète sans cesse que la réalité nest
pas ce quon voit, ce quon vit, ce quon éprouve
directement mais la somme des contaminations et des interférences
qui font quau moment où on vit une chose qui semble être
la réalité, en fait on vit dautres réalités
simultanées, consciemment ou inconsciemment et qui représentent
avec le cumul des multi- réalités, une méta-réalité
modifiante. Ca fait une contraction dans un rayonnement à la fois
centripète et centrifuge. cest comme une sorte de noeud comprimé,
de noyau projeté en pulvérisation totale, de part en part
comme un flashage monstrueux, informe, gazeux, fluide, dont on ne peut
pas maîtriser la forme. Or, justement cet «informe là»
est une forme qui m intéresse et ça na rien
de formaliste évidement! Le CLOM nest que la conséquence
dune forme de relation et de mise à lépreuve
transmutée en énergie ! Une onde spatio-temporelle qui se
propage, diluée. Cest une sorte de volatilisation, je tente
des expériences à perte et cest cette perte là,
paradoxalement, qui est la construction positive même dun
dispositif mental proliférant, dune pensée qui se
boursoufle pour faire encore appel aux sens et dont la forme ( je dirai
plutôt linforme) et dont linforme se déformerait
comme une dérobade en donnant constamment de linformation.
Cette appréhension du monde nest-elle
pas antérieure aux CLOM, dans votre travail ?
Jai limpression que le glissement est épidémik
depuis mes premiers mixages des années 70. Chaque chantier est
en interférence avec le précédent mais aussi avec
toute une périphérie de pré-chantiers et de micro-chantiers
en gestation et quelque fois jai aussi des chantiers de fracture,
des chantiers »ovni» qui déboulent de nul part ! ha
ha ha !. Autant il peut y avoir de chantiers en incubation, autant dautres
persistent et sont maintenus par résistance, cest une galaxie
de chantiers contiguës qui se forment, se reforment puis se déforment
à nouveau. A léchelle dune parole dindividu,
le champ daventure est assez étendu dans cette idée
de perte. Il y a beaucoup de choses qui méchappent à
mesure que javance. Je ne sais pas très bien comment my
pendre, je tate
Je plonge dans un magma dont je nai pas vraiment
la connaissance. Je recherche à la fois ma relation au monde dans
lequel je me trouve déjà inclus et que jéprouve
en essayant de me transformer mais aussi cette relation au monde que je
veux faire éprouver et que je tente de substituer au monde même
qui en est forcément changé. Finalement, ce serait peut-être
lappréhension du vrai monde dun faux monde, enfin de
cette fameuse réalité qui ne serait quune idée
de la vérité. Je nen sais fichtre rien! Il y a des
chantiers que jai totalement abandonnés, mais ils ne sont
pas évacués comme des simples corps étrangers ; ils
ont été eux-mêmes les moteurs de combinaisons et de
bifurcations, leurs rhizomes sont en suspens, ils peuvent toujours réapparaître
dans mon espèce d»hyper-roman» ou d»ultra-
film» sans fin. Cest comme une sorte de géographie,
darchitecture, ou de voyage imaginaire comprenant de multiples sujets
dans lesquels je me projette, je me substitue, je me détache, je
me perds, pour refabriquer et appréhender cette méta-réalité.
Un re-mixage total répercuté! Ce nest surtout pas
dla fiction pure, un plan où jinventerais juste un
monde pour me déplacer; le monde en formation continue que jalimente,
c est de la catalyse et de la percolation de réalité
mêlée à une méta-réalité avec
ce que jinvente à partir de ces réalités supposées.
Cest une façon de continuer à développer un
imaginaire, un point de vue, tout en pouvant inclure des réactions
et bien sûr du concret avec parfois des cris dindignations
élémentaires, sans tomber pour ça dans un champ de
revendications primaires ou frontales, ni dans la propagande dune
soi-disant «bonne vision».
Je sais que jai envie de me saisir et de saisir le spectateur, voilà!
Contre lOrdre Moral (CLOM) est tout de même
assez évocateur des slogans de mai 68.
Dabord je mets toujours des parenthèses! cest bien
plus ambigüe! CLOM ne veut pas dire que cela. Je propose un sens
mais il faut se méfier évidement des apparentes définitions
un peu trop démonstratives et simplistes! Quand je traduis, cest
plutôt une façon de brouiller les cartes et peut-être
aussi pour indiquer une fausse route! ha! ha! ha! Cest un problème
de lecture! si on veut se satisfaire dune justification basic !
OK! pour la superficie mais jai évoqué la pipe de
Magritte pour mettre la puce à loreille
.et ça
veut surtout dire; Ceci nest pas un slogan.! Mais par contre, je
peux assumer et déclarer que: CLOM veut bien dire CLOM. Cest
beaucoup! Cest clou et flaire! euh! non, cest flou et clair!
cest un éclair fou! Cest comme un son et là,
cest bien plus fort que «Contre lOrdre Moral»
littéralement parlant. Si CLOM ne signifiait que cela, ce serait
vraiment réducteur. Par le monochrome, je peux faire glisser une
métaphore de la pensée unique primaire que je montre du
doigt mais en nommant, Je ne fais pas de dénonciation! j
ne propose pas de révolution, je pointe juste le phénomène!
Cest important tout de même! On peut observer aussi que par
la multiplicité des signaux et des codes que je rapporte et que
je peux intégrer dans chaque couleur, le grouillement est tel que
chaque ensemble ne peut pas être totalement monochromique et harmonieux,
ya forcément une erreur, une disjonction quelque part. Il
ne peut pas y avoir de pensée totalement unique dans mes assemblages
dapparence ultra radicale monochromique. Cest impossible.
Je mêle trop d'éléments incompatibles ensemble, Dans
les analogies et les métaphores, j insiste juste sur le fait
que même enrôlé, embrigadé, soumis à
la pureté excessive imposée, les failles sont potentiellement
innombrables encore pour perturber les programmes de couleur unique, et
on les aura, toujours ! Le lavage de cerveau fait vraiment des ravages
mais rien nest absolu! ça npeut pas être toujours
tout jaune ou tout bleu ou tout vert évidement. On peut vouloir
nous plier, nous coucher à terre, nous humilier, nous faire ramper,
quand on a décidé dêtre en état déveil,
on peut résister à la norme imposée, lhistoire
le prouve! Même si le contexte est une déception pure, jai
cette approche positive et dans ce sens, mes monochromes sont des anti-monochromes,
des anti-pensées uniques bien sûr!. Au premier degré
mes monochromes pourraient désigner dhypothétiques
mondes totalitaires qui ne seraient constitués que dune couleur,
mais je ne fais pas un rédactionnel pour un dictionnaire, cest
pas une démonstration. Jai trop dincohérences
et de doutes dans mon planning aléatoire pour rester empêtré
dans ce petit système . La couleur, cest juste un outil,
une machinerie pour déclencher une dérive dexpériences
parce que jaime la vie. Je parle de la couleur discriminante bien
sûr, mais ça doit dépasser largement cette problématique.
Tout est fuyant, la cohérence interne nest quapparence,
évidement, je travaille cette histoire de territoire de la pensée
unique mais en même temps je me débine ailleurs et je ne
sais pas trop où!!!! je sais que ça semble dire «quand
cest rouge, cest rouge».vous le voyez, effectivement,
ça paraît rouge mais en fait tout ce rouge nest pas
si rouge que ça et plus vous pénétrez dans cette
suspicion à propos du rouge et plus vous voyez que le rouge nest
finalement pas rouge du tout alors quil ny a pourtant en fait
réellement que du rouge. Quel vertige! Ce serait trop simple de
ne voir que ce quon pense voir?
On se rapproche là de la pipe (2) : attention, ce quon voit
nest pas ce quon voit, ce quon lit nest pas ce
quon lit et ce quon dit nest pas forcément ce
quon dit.
Pourquoi choisir le système de couleurs
des camps de concentration alors que cest une symbolique très
lourde et que vous navez pas vécu la seconde guerre mondiale
pour être né juste après ?
La méta-réalité est plus puissante que la réalité
même, cest ce que jessaie de dire jusquici. Il
nest pas nécessaire dêtre un noir pour comprendre
que lapartheid a été une saloperie. Jules Verne a
fait le tour du monde sans pratiquement bougé de sa chambre
Cest
toujours une question de point de vue! Cest comme si on refusait
à un homme de réfléchir sur la mort sous prétexte
qu il ne la pas encore expérimentée lui-même
! Jétais à la recherche dinformations sur des
notions dintégrisme, de sectarisme et les expressions comme
«annoncer la couleur» ou « hisser les couleurs»
me chiffonnaient! Les couleurs me semblent déterminantes dans les
relations de territoires, quon soit conquérant ou seulement
possesseur. Toute forme de propriété implique un protection
qui peut virer à l étanchéité et au
blindage totalement belliqueux! Pour préserver et sauvegarder son
bien, il semble quon soit prêt à pas mal de choses
extrêmes. Lenfer de la possession peut se transformer aussi
en nouvelle conquête! Le protectionnisme devient vite de la paranoïa
fascisante. Le Front National, en France, a fait une avancée basée
sur la peur des gens. Les religions ont été inventées
aussi pour rassurer. Les doctrines et les idéologies sont imposées
comme des solutions absolues. Mission et soumission! Tous les systèmes
totalitaires fonctionnent sur la parano et langoisse des individus.
On utilise la crainte comme souche de contamination, on joue avec des
leurres de liberté pour aveugler, endoctriner, et ça fait
pas mal de temps que la couleur me préoccupe autrement que pour
ses effets de stimulis sensibles, émotionnels ou physiques, ça
serait plutôt des interrogations concernant la couleur sociologique
et politique. Je pense à toutes les formes réactionnaires
dultra-nationalisme, dultra-ethnisme, dultra-régionalisme,
desprit sectaire et buté avec ce choix catégorique
dune couleur quon brandit comme un drapeau. Je pense par exemple
à létoile jaune des juifs, aux orangistes Irlandais,
au white power du ku klux klan ou au ruban jaune imposé aujourdhui
par le régime Taliban à tous les non-musulmans qui doivent
le porter pour être repérés!. En 1975, lors dune
exposition solo dans la galerie Noire à Paris, javais mis
les couleurs dans de grands sacs poubelles, les sacs noirs portaient chacun
une étiquette: rouge, jaune, bleu, vert, rose... Dans linstallation,
Je présentais aussi des sortes de parodies de peintures de lépoque
dont je détournais les styles et les références à
la mode. javais supprimé la couleur, Hop! à la poubelle!
exclusion! Les images étaient toutes grises, je mélangeais
support-surface avec le post-pop et lart conceptuel, je reprenais
les effets visuels des stars de lépoque, un «remix»
dimages connotées «art contemporain année 70».
Je peignais daprès des photographies et ma peinture radicalement
en noir et blanc ressemblait un peu à du «Richter»
dont je ne connaissais pas du tout lexistence à lépoque.
Ce nétait ni de lhyperréalisme ni de la peinture
en aplats comme la figuration narrative, en fait, cétait
un mélange gris entre Monory, Richter, Equipo Cronica (3) et Erro
mais sans couleur. Plus tard, en cherchant un maximum déléments
sur les couleurs, je suis tombé sur le code des couleurs des nazis.
Je connaissais létoile jaune pour les juifs et le triangle
rose pour les homosexuels, mais jignorais le code général.
Soudain, ma vision du maillot jaune, du père Noël rouge, du
bleu de travail, du feu vert ou du rose Barbie prenait une autre tournure.
En re-introduisant sur le tapis; le rouge de la révolution, le
noir de lanarchie, largent blanchi, le vert écolo,
le rose socialiste, les casques bleus, le marché noir, les marches
blanches contre la pédophilie ou la peur bleue, les couleurs changeaient
vraiment de couleur, si je puis dire! je mêlais la couleur logo
des entreprises comme le rouge coca-cola, le jaune PTT, le bleu EDF ou
le vert Heinneken etc
avec les bleus champions du monde, le bleu
Klein ou le vert Hybert etc...Cest pas pour niveler, ya forcément
des hiérarchies mais en rabattant la couleur dans le corridor monochrome
socio-politique, on devine les stéréotypes de pouvoir, de
haine et de fanatisme, ça révèle la xénophobie
race-patrie-religion, cest à dire en fait les principaux
territoires de lordre moral. Dans les systèmes de protectionnisme,
quand le territoire mental, moral ou physique est en danger, ca «dégénère»
très vite. Ca glisse lentement, on peut commencer par être
fan dun groupe de rock ou supporter passionné dune
équipe de foot ou bien militant dune région, bon patriote
ou grand croyant mais dès que licône est en danger,
on peut tout de suite se transformer en une sorte de pittbull de garde
et virer au massacre pour vanter ou protéger son idée fixe
. En faisant appel aux amis, aux voisins, on se constitue vite une armée
dauto-défense, voilà comment apparaît la couleur
de lintégrisme. Aussi le détachement fait évidement
partie de mon «action» car les couleurs! bonjour! vive le
barbouillage!
Ce détachement ne rejoint-il pas linvitation
faite au visiteur de déposer un objet ?
On peut simplifier. Cela fait trente cinq ans que jessaie dagir
à chaque fois différemment, de décaler les process
en essayant de catalyser sur lextérieur pour éviter
dêtre toujours dans une expérience dintrospection,
une maniaquerie nombrilique trop pratiquée par les artistes. Pour
créer cette espèce dhyper-connexion avec autrui, jai
toujours tenté de donner autre chose que le simple produit de mon
auto-analyse, proposer autre chose que cette psycho-déjection :
au lieu de donner un poème ou une peinture, jai essayé
assez tôt de mouvrir à dautres investigations.
Je lai fait avec plus dintuition que de réflexion,
cest vrai! Beaucoup dégarements et de maladresse pour
tenter de sortir du champ de production traditionnelle. Cest primordial
pour moi! Ca fait pas mal de dégât évidement pour
un plan carrière! Remplacer les beaux objets fait main en atelier
par des actions, des performances et des manoeuvres diverses, introduire
des virus, des corps étrangers à ce processus, cétait
pas le genre à séduire les professionnels de lart
qui veulent bien de laventure mais pépère et dans
les rangs. Jai démultiplié les emmerdes en rajoutant
des expériences accidentelles et incongrues dans mon pseudo-programme
expérimental. Guattari appelle cela de la «non-coïncidence».
Cest par cette non-coïncidence quon peut déstabiliser
la cohérence interne qui est un processus spécifique bouclé
et centraliste auquel on est bien trop attaché dans nos principes
rationalistes. Quand on veut bien attaquer ses propres préjugés
culturels débiles, on peut essayer dentendre des trucs qui
échappent à notre entendement, en analysant, en cherchant
hors de nos projections personnelles. Dans ce rapport là, la cohérence
interne est quasiment un handicap. Je lai toujours suspectée
cette fameuse cohérence interne, cest trop simpliste et je
revendique lincohérence à fond la caisse. Jaime
les trucs complètement absurdes, il faut essayer de péter
les plombs. Ces idées de réalité, de sur-réalité,
de méta-réalité sont tellement complexifiées
par toutes les déclinaisons des «linfinitude»
des mondes que nous soupçonnons mais qui nous échappent
que nous ne pouvons quêtre chaoïdes. Dans la théorie
du chaos, un petit plissement de cils peut provoquer un chambardement.
Nous croyons parler de telle chose à tel endroit et en fait ça
parle ailleurs et dautres choses ha! ha! ha!... Ya longtemps
que nous sommes informés par Duchamp que le regardeur fait vraiment
une bonne partie de loeuvre (4). Lobjet dart en tant
que tel, nest que le déchet, le détritus du processus
de création et dans ce rapport, un poème, une sculpture,
une composition musicale, etc
ne mont jamais suffi. Mon travail
en fait consiste surtout à casser sans cesse la cohérence
interne qui se désorganise tout en sauto-organisant à
la recherche de la non-coïncidence! Dans un entretien, Guattari évoque
cette notion de non-coïncidence, il dit : «La performance cest
le temps de la non-coïncidence». Cest le temps où
les choses senclenchent ou se déclenchent par des apports
aberrants et anachroniques. Ce nest pas de la surréalité,
ce nest même pas lassemblage excessif du parapluie et
de la machine à coudre sur une table dopération (5),
même si Lautréamont est un grand précurseur du genre,
cest simplement la multi-réalité. Le brouillage est
pour moi la clarté même. Cette clarté cache tant de
choses. Je me méfie de certaines évidences. Dès quon
donne un repérage qui fait sens, les gens sont satisfaits, blasés,
ils pensent ; pas la peine daller plus loin, lexplication
me suffit. Cest lhabitude à laccès facile
dune certaine clarté qui provoque cette incontinence de la
pensée, une auto-complaisance dans la médiocrité!
Avec lhyper-roman» qui est une non-littérature et sur
lequel je travaille, je ne peux pas me satisfaire dun titre, dun
mot clef ou dun slogan. Je dois tricoter des paragraphes entiers.
Cest peut-être cela mes chantiers, des paragraphes à
tricoter. Je suis très mauvais dans la manipe des nouvelles technologies,
mais y a bien longtemps avant que la «toile du web»
nexiste que jai limpression davoir déjà
naviguer sur «inter-super-méga-extra externet»(6).
Le concept interface dépidémie/ mixage que je développe
comme un réseau depuis 1971 est équivalent à lesprit
internet-externet. Je préconisais déjà la contamination
alors quil ny avait pas encore de virus informatique, ni de
sida, ni de plan trans-bio contagieux. et on se moquait pas mal de mon
épidémie ! Pas un petit microbe à lhorizon.
Jallais évidement dans le sens de Lautréamont, Rimbaud,
Artaud, que javais lu et absorbé mais jincluais aussi
la pataphysique, la psychogéographie situationniste, le cut-up
de W. Burroughs, la fiction stratisfiée de James Joyce avec le
principe déquivalence de Robert Filliou et aussi pas mal
de conneries un peu rock n roll. Une sacré potion magique,
jme suis sali lcerveau, depuis, je suis super-mixé
à outrance et je ne peux pas répondre clairement à
votre question, jai besoin dune agglutination chaoïde
des sens pour dilater mon attention. jsuis totalement déspacialisé
! Je pense que la clarté nest pas un bon concept de connaissance,
ya longtemps que je dis et répète que quand ça
parait net, cest pas clair, je veux dire que lorsque cest
clair, cest pas net! ha! ha! ha! Au contraire, la clarté
participe de lobscurité totale, une vision courte de lauto-suffisance.
Je préfère lapproche des bordures. Jean Luc André
qui à écrit »Le bord du réel»(7) dit
:«Non, nous navons pas lintention de rendre les choses
plus claires» ! ha! ha! ha! Je pense quon ne peut être
qu en recherche continue! Comme jai toujours criblé
mon travail de corps étrangers, jajoute à mon écriture
complètement greffée, quelque satellites perturbateurs qui
nont rien à voir avec la lecture même des fragments
du chantier de la couleur. Dans le même temps, jouvre mon
chantier à dautres couleurs et jamène dautres
éléments qui sont comme un combustible pour alimenter mon
projet. Mais mon projet, cest dabord un projet de vie! Je
cherche tous les moyens à ma dispo pour me propulser au maxi .
Cest de la frénésie! sûrement! jaccélère
de plus en plus et plus je vais vite, plus je menfonce. Yves Klein
et Tinguely avaient fait une pièce intitulée «Vitesse
pure et stabilité». On le sait en physique, plus ça
va vite, moins ça bouge et plus cest fixe. jai ajouté
au moteur, une voile, à la voile, une rame, et à la rame,
la télépathie un peu comme cet artiste dart brut qui
fait des soucoupes volantes et qui pense quil va pouvoir décoller
avec un peu de cheveux, de salive et beaucoup de conviction en pensant
très fort, je décolle, je décolle, je décolle!
ha! ha! ha! Filliou a fait des concert de musique télépathique,
il nous faisait entendre quon pouvait entendre autrement ! Cétait
quoi au fait la question?
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Mais comment est apparue
lalimentation dobjets par la population ?
Je lai dit! Je ne peux pas répondre clairement sans que ma
réponse soit en partie fausse. Ce que je vais dire nest à
prendre que dans le contexte que je viens dévoquer et quon
ne se méprenne pas sur mes intentions, cest pour donner quand
même quelques réponses un peu plus évidentes, voilà
: A un moment donné, dans mon chantier, je me suis interrogé
sur la façon de my prendre, non pas pour faire du nouveau,
mais pour faire un travail différent. Je me suis dit : «Bon,
soyons simple, nous sommes dans la post-post-modernité de la fin
du siècle, tout a pratiquement été inventé,
cest pas la peine de rajouter un nouveau truc, tout est dans le
recyclage permanent, reprenons les choses au commencement! quest-ce
qui est fondateur de la modernité? quels sont les éléments
déterminants de cette modernité de lart du début
du XXème siècle. Le recyclage cest un phénomène
naturel!, cest la vie. mais est-ce que la vie est si naturelle que
ça? Inclure la vie même, cest lhumus, la mort...
Picorons sur lenvironnement et transmutons. Quest-ce qui est
le plus important dans la modernité depuis le début du siècle?
Quels sont les concepts fondateurs? Je pense au monochrome, au ready-made
et au geste. Ces 3 éléments porteurs ont stimulés
des centaines dartistes de plusieurs générations et
parfois très opposés. Que faire donc avec cela ? Comme je
me posais des questions dordre sociologique sur la couleur, jai
décidé de compiler toutes ces sources différentes
pour développer le chantier; Ready made aidé (8)ou pas aidé
pour le ramassage dobjets dune couleur unique, Monochrome
pour la couleur unique et Geste pour la manoeuvre performative générique.
Jai donc décidé de construire des sites monochromes
avec des objets donnés ou prêtés par un public souvent
extérieur au milieu de lart. Cest un processus de manoeuvre
qui se propage grâce au contact dune population élargie.
Je réalise ainsi mes pièces le plus souvent avec laide
et la complicité de la population. Je sais que cette population
qui nest pas concernée par lart na aucune raison
de me donner des objets, cest donc une aventure et chaque projet
CLOM est une nouvelle expérience. Pour la beauté du geste,
jinvite les gens à me rejoindre le jour de linauguration
du site entièrement habillés de la couleur sélectionnée,
je fais une photographie, (un cyba-clom) avec eux sils acceptent
de sintégrer dans la pièce comme une sculpture vivante
en mouvement que je nomme «installation vive». Au lieu de
peindre et sculpter seul dans mon atelier, je construis mes pièces
à lextérieur avec la participation de nombreuses personnes
comme une contamination permanente de la réalité et de la
non-réalité dans la méta-réalité.
Y avait-il aussi une volonté de sensibiliser
un public ?
Bien sûr, et tout cela se faisait en même temps et depuis
longtemps, bien avant le chantier de la couleur mais je ne suis pas instituteur
ou infirmier. Je ne veux ni instruire, ni sauver le monde mais saisir,
toucher, échanger, provoquer. Je veux aussi essayer de remettre
en cause des idées reçues par réaction au milieu
et pour changer la posture de lartiste. Jai toujours essayé
de toucher le public le plus large possible. Je suis «Pop»
dans ce sens là ! En récupérant des objets autour
de moi, en proposant aux gens de me confier leurs objets et de participer
à la collecte, je fabrique une autre relation et je fais des liaisons
entre des milieux qui nétaient pas connectés. Je crée
un lien avec les gens non pas en les mettant tout de suite face à
la production de mon opération, mais en les contactant en amont.
Dabord les approches préliminaires, puis je détourne
le processus : habituellement lartiste tente de produire dabord
quelque chose pour tenter ensuite déchanger au moins en partie
avec le public. Moi, je fais le contraire. Je propose dabord au
public de participer à la constitution de ma palette. Mais bon,
cette réponse est trop simple évidement! bien trop réductrice!,
Je ne fais pas systématiquement comme ça, jessaye
différent, je cherche, je ne fais que de la recherche! je parle
de la pipe de Magritte, parce que ceci ne doit pas être une pipe,
parce que ceci nest sûrement pas le sujet même du propos
de mon travail, ce nen est quun bout . Lattention ne
peut pas se produire immédiatement, on le sait historiquement.
On travaille toujours avec un décalage de perception et cest
pratiquement jamais contemporain lart contemporain! On travaille
pour cet échange utopique qui n existe bien souvent quen
différé. Pour rétrécir le champ de ce différé,
pour le rapprocher du contemporain sans baisser dun ton, sans sombrer
dans la démagogie dun audimat quelconque, il faut trouver
quelques subterfuges, pour contourner non pas lobjet du désir,
mais cette production/ détritus, cette trace de lopération
de création. Je ne dis pas détritus pour jouer l iconoclaste-provocateur,
je pense que loeuvre nest quune infime partie de liceberg
et quil ne faut pas en faire une montagne si je puis dire! et que
par conséquent et tout en respectant ce genre de trace, je pense
que loeuvre en général nest quune déjection
du transit de la pensée et de la sensibilité comme de lhumus
cérébral. Je parle de toutes les crottes muséales
quon peut produire. Elle ne sont jamais échangeables en direct.
Elle ne sont échangeables que dans un processus à long terme:
On volatilise cette matière, on fait de lépandage
et on met tout cela en réseaux. On filtre et le public récupère
la poussière de déjection comme de la poudre aux yeux, cest
du spectacle. Il faut trouver dautres moyens! Dans les CLOM, je
propose aux gens de venir apporter des choses qui vont me permettre de
dévoiler la chaîne du processus auquel ils ont pris part
pour attiser limaginaire. Autant Marcel Duchamp travaillait sur
du «retard», autant jessaye de travaille sur de «lavance»
ha! ha! ha! Ce sont des notions comme le plein et le vide, elles ne sont
pas si opposées que ça! Les gens m apportent le module
fractal qui va me permettre de constituer le tas, lamas, que je
pourrai modeler, ils reçoivent une vague information du tas, ils
perçoivent quelques signaux qui se traduisent en projection mentale
. Pfuttt! Cette projection induit déjà un pré-parcours
qui tend plus tard à ce que les gens aient une bonne appréhension
du processus dans lexposition. Pour moi, cet échange, ce
passage relationnel est extrêmement important. Tout en expérimentant
un travail pointu, la récolte d objets me permet de toucher
une population élargie sans que je sois obligé de dénaturer
mon propos par une vulgarisation démago et popu. Ca reste pratiquement
une activité marginale déployée paradoxalement dans
un champ populaire. Je fais des interférences entre le lieu privé
avant-garde, la galerie dart contemporain élitiste, le centre
dart branché et le tout venant populaire de la place publique
! Une alchimie entre lhermétisme des pré-occupations,
lenthousiasme participatif et la curiosité dans un climat
ou règne souvent ; cynisme, indifférence, mépris
ou refus catégorique de lart contemporain . Mon travail est
un mélange du transfert de contextes ou plutôt du recyclage
des référents que je manipule avec de la distance parodique
et que je détourne car ils sont trop filtrés et induits
par des transports déformants. La réalité même
de ce quon voit est de la déformation, et notre point de
vue déforme cette réalité déjà déformée.
Je voudrais assumer cela coûte que coûte. Le voyage est long.
Il ne sagit pas de réussir. Au contraire, il faudrait se
perdre jusquà la perte des sens; mais puisqu'il sagit
de se déplacer, jai crée un combustible de toutes
pièces qui ma permis de faire un bout de chemin avec une
certaine efficacité. Je ne parle pas de rendement, je veux dire
de lefficacité comme de la justesse. Créer le combustible,
cest mieux que de créer le véhicule. Le combustible,
cest de lattitude! Maintenant je nai pas envie de faire
du «train-train», alors il faudra forcément que je
change de combustible ou peut être plutôt que je change de
voie, que je fasse dérailler tout cela. Tout cela est un mélange
entre l idée élémentaire dinventer sa
relation au monde et un détachement de tout cela, comme une espèce
dapproche caricaturale de ce désir autant existentiel que
métaphysique qui ne peut pas être vraiment pris au sérieux.
Comment le prendre au sérieux ? mais aussi, comment ne pas le prendre
au sérieux ? Après tout, cest tout de même lengagement
de toute une vie! Cest une forme de mixage évident et je
ne peux pas uniquement fonctionner sur cette relation au monde au premier
degré. Je dois aussi remettre en cause cette idée même
davoir une relation au monde. Pour ne pas être la caricature
de moi-même par manque dhumour, je dois introduire dans mon
réseau neuronal une part dauto-distanciation très
forte. Et la lucidité, cest pas toujours facile! ha! ha!
ha!
Comment amenez-vous cette «auto-distanciation»
?
En mauto-caricaturant, en me matraquant, en me déstabilisant
moi-même, en étant le sujet même de ma caricature,
en essayant de me préserver le moins possible, en me mettant des
oreilles dâne, en me grimant en clown, en maccablant.
Surtout ne pas se prendre au sérieux puisque cette histoire là
est trop sérieuse. Ce nest pas pour esquiver la chose sérieuse.
La chose sérieuse est sérieuse, elle est «à
la vie à la mort», il ny a pas de protection, cest
la destruction totale, ça doit passer par là, cest
une espèce de désintégration et pourtant ce nest
pas suicidaire, cest lucide, ça pompe, ça fait vieillir
deux fois plus vite mais en même temps cest de lavance.
Cest comme cette accélération qui donne du suspens,
le fait de vieillir deux fois plus vite cest du temps gagné
sur du bon temps perdu, ça touche lintemporel. Et je peux
rejoindre tous les phantasmes de nimporte quel artiste qui se préoccupe
du «hors-temps» et à perte, sans tomber dans ces rêves
mystico-métaphysique, en ripant en diagonale.
La photographie intervient-elle
pour palier à la perte, à laspect temporaire de votre
intervention à un moment donné ?
Cest un mélange! il faut bien se confronter à la forme.
Jai toujours été dans une forme de«direct»,
de truc «live». Mais on ne peut pas être dans le journal
de bord en permanence. A un moment donné, cest lexpérience
même qui est intégrée au journal : on ne traverse
plus lAtlantique, on traverse son journal; et que reste- t-il pour
rendre compte de la traversée du journal ? Un sous-journal ? un
hyper-journal? Hier, mon point de vue était de ne surtout pas faire
de déchets muséaux et de rester dans laccomplissement
dune épreuve éphémère, fulgurante, performative.
En fait, à lintérieur, jincluais une espèce
de journal ponctué de choses plus prémédités,
plus laborieuses avec des dessins, de la peinture, des écritures
Jai toujours été en contradiction ..Tout se déplace
toujours! Aujourdhui, jai forcément changé encore.
Parfois je pense quil est nécessaire de répondre par
un objet muséal comme ces photographies qui sont très complètes.
Un cybaclom est comme un journal, cest le témoignage dune
intervention ponctuelle qui est une performance, elle-même «re-performatisée»,
souillée par un sub-journal. Il ne faut pas y voir là du
confort, je ne fais pas cela pour retrouver mon élément.
je ne sais même pas ce que cest mon élément!
Je pense détenir une bonne puissance dénergie jusquà
pouvoir me perdre puisque je veux essayer de me prononcer dans lexpérience
la plus totale et on ne peut pas tricher dans lexpérience.
Comme tous les individus qui cherchent plus de force et plus de puissance,
je ne peux en puiser que dans ma propre faiblesse, ou dans la conscience
de cette faiblesse. Sachant cela, je vais me remettre des oreilles dâne
car je parle de choses trop sérieuses et cest pas sérieux!.
Les formes ne sont que des choses aléatoires qui permettent de
se déplacer dune manière informelle.
Le «chaos» que vous avez créé
dans lespace noir, au premier étage de la Galerie Duchamp,
avec la boule mille facettes, nétait-il pas le contre-pied
nécessaire à lordre établi au rez-de-chaussée
?
Forcément ! Je suis angoissé par la façon dont on
va filtrer mon travail. Je ne risque rien, mais je risque tout puisque
cest la base même de mon travail, de ma vie. Il faut être
tendu à lextrême pour lexigence et la rigueur
mais il faut aussi savoir se détendre!. Jajoute à
la complexité une épreuve en plus. Il est facile davoir
un territoire et je veux me déraciner. cest moins facile
de se déraciner!
Le chaos de létage déterritorialisé fait en
effet une sorte de diversion!
Lexposition était-elle alors satisfaisante
?
Non, ce nest pas possible. Ce qui est satisfaisant, ce sont les
trois bribes déchange interhumain. Il faut par moment capter
des éléments pour continuer à se déplacer,
cest pour cela quon peut avoir des stratégies ponctuelles
comme cet entretien en ce moment pour le catalogue et pour être
en relation avec les autres plus tard. Ce ne sont que des moyens. Lors
de mes expositions précédentes, jai toujours dépensé
largent réservé au budget dédition et
cela pour augmenter les moyens attribués à la réalisation
in situ, je sais que le cours terme est stupide mais javais besoin
de donner à fond le maximum de moi-même dans chaque opération
entreprise et je préférais piocher dans la caisse du futur
pour développer la qualité du présent au risque de
perdre toute trace de témoignage, cest vrai, cest nul
pour une carrière dartiste. Depuis trente ans, je ne me suis
jamais préoccupé du livre ou du catalogue raisonné,
jai foncé dans le «live». Non seulement je ne
men suis pas préoccupé mais jétais contre.
Au diable la carrière! La photographie, aujourdhui, me permet
dêtre plus proche de cette idée déchange
que la performance seule ne peux pas assumer. On lit mieux mon travail
par la photo mélangée à laction que si cest
laction seule. Je cherche bien sûr à être plus
intense mais aussi plus efficace, plus juste pour saisir le public. Mais
Je ne peux toujours pas encore présenter une photo autonome, il
faut quelle soit brouillée par une intervention rapportée
in vivo. Je mélange des plans spontanéïstes au travail
élaboré et prémédité. Je contamine
la photo. Cest de lultra-mixage. Jen suis là.
Dans lapparent chaos
dobjets ou de textes, les visiteurs ont découvert un ordre...
Je travaille totalement dans le «chaoïde» qui est la
conscience du chaos mais aussi la distance au chaos. Le chaotique cest
le bordel ! Je suis chaoïde et non chaotique. Lagencement,
lordonnancement des situations nest nourri que de leffet
chaoïde des actes de non-coïncidence. Je ne parle que dexigence
et de rigueur alors que les gens lisent mon travail comme un fatras, (
mais peut-être de moins en moins je pense avec le temps!) Je persiste
et on commence à discerner aujourd'hui dans ce chaos, lordre,
lénergie, la puissance de lénergie du foisonnement.
La vie qui est cancérigène et la cellule qui est démultipliable
à linfini, cest du vivant, cest bio, cest
hybride, cest épidémik! Je suis sans cesse dans la
déception et linsatisfaction, cest pratiquement toujours
navrant et en même temps, je ressens de lénergie positive
et je suis vachement «yes-futur» malgré le contexte
déprimant. Jaspire au brouillage général, je
suis critique, parodique, mais pas cynique et il faut vivre de tout cela.
Alors que je me prononcerais plus naturellement vers des espèces
de béatitudes zen et raffinées, j ai parfois fait
de moi une caricature monstrueuse en penchant vers des trucs un peu grossiers,
un peu lourds ou vulgaires, des plans graveleux, tordus ou glauques! Rimbaud
sintéressait bien à la peinture idiote, jai
beau être Rock n Roll, je préfère la musique
répétitive ou lambiant électro. Dailleurs,
dans cette approche il faudrait lire « Lart parodic
« un essai excentrique d Arnaud Labelle RoJoux aux éditions
Java, ça pourrait en éclairer certains
NOTES
(1) »optophonétisme»,concept de synthèse
des sens de Raoul Hausmann (1922)
«Merz», concept dart total crée par Kurt
Schwitters (1919)
« la Zaoum » : anti-langage transmental futuriste
russe crée par Khlebnikov et Kroutchenykh
« UR» titre de la revue crée par Maurice Lemaitre
en 1950, une déclinaison de l URsonate de Schwitters
«Zang Tumb Tumb»(les mots en liberté de Marinetti)
«Laroutala» poème à crier et à
danser de Pierre Albert-Birot en 1919.
(2) «Ceci nest pas une pipe» est linscription
que lon peut lire sur une toile peinte en 1928/1929 par René
Magritte représentant une pipe très réaliste sur
fond blanc.
(3) «Le groupe Equipo Cronica» était constitué
de 2 artistes Catalans anti-franquistes et dont les peintures collées/copiées
étaient proche de celle dErro.
(4) «Somme toute, lartiste nest pas seul à
accomplir lacte de création car le spectateur établit
le contact de loeuvre avec le monde extérieur en déchiffrant
et en interprétant ses qualifications profondes et par là
ajoute sa propre contribution au processus créatif».
Extrait dune intervention de Marcel Duchamp lors dune réunion
de la Fédération Américaine des Arts à Houston
(Texas) en Avril 1957. Marcel Duchamp, «Duchamp du Signe»,
Ed. Flammarion.
(5) «Beau (...) comme la rencontre fortuite sur une table de
dissection dune machine à coudre et dun parapluie !»
Cet extrait de «Les chants de Maldoror» de Lautréamont,
paru en 1868, sera réapproprié par les surréalistes
comme une des définitions de leur mouvement.
(6) «externet» est une idée d Alain Jouffroy,
un regard critique sur linternet mondialiste.
(7)«Le bord du réel « image-seuil, seuil de
limage est un essai de Jean Luc André publié par la
Station Mir à Caen.
(8) «En 1913, jeus lheureuse idée de fixer
une roue de bicyclette sur un tabouret de cuisine et de la regarder tourner.
(...) A New York en 1915 jachetai dans une quincaillerie une pelle
à neige sur laquelle jécrivis : «En prévision
du bras cassé» (In advance of the broken arm). Cest
vers cette époque que le mot «ready-made» me vint à
lesprit pour désigner cette forme de manifestation (...)
Quelquefois jajoutais un détail graphique de présentation.
Jappelais cela pour satisfaire mon penchant pour les allitérations
«ready-made aidé» («ready-made aided»).»
Extrait dun bref exposé de Marcel Duchamp au Musée
dArt Moderne de New York lors dun colloque, le 19 Octobre
1961. Marcel Duchamp, «Duchamp du Signe» Ed. Flammarion.
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